Le courrier des lecteurs des journaux suédois est l’une de mes pages favorites. Naturellement porté au compromis dans la vie de tous les jours, le Suédois profite de cette rubrique pour se défouler, ignorant ce qui est normalement considéré comme juste, admissible ou socialement acceptable, et ce avec d’autant plus de fougue que le journal peut garantir l’anonymat de l’auteur si celui-ci le souhaite.
L’autre jour, un couple d’octogénaires se plaignait amèrement que le produit de la vente de leur maison ne leur permettrait pas d’acheter un appartement dans le même quartier !
L’information m’a fait bondir ! Qu’avait pu imaginer l’état suédois pour contraindre ce vieux couple à rester dans cette maison dont l’aménagement et l’entretien étaient dorénavant incompatibles avec leurs capacités physiques ?
Nos octogénaires mettaient en exergue l’impôt de 400 à 500 000 kr que leur réclame l’état en cas de vente. Pour information, les plus-values sont imposées en Suède à hauteur de 22%, quelque soit le nombre d’années de détention. Notre couple estimant l’impôt à payer à environ 500 000 kr, cela signifiait qu’ils anticipaient une plus-value de l’ordre de plus de 2 millions de couronnes, à quoi il convenait d’ajouter 140 000 kr représentant le coût de cette acquisition réalisée dans les années 70.
Si leur maison de 170 m2 se vendait environ 2,5 millions de couronnes, il devait être possible de trouver un petit appartement pour 2 millions de couronnes dans le même quartier ! En admettant même qu’ils n’aient pas encore remboursé le prêt d’origine (ce qui techniquement est tout à fait possible en Suède), où était le problème compte tenu du faible montant de cet emprunt à l’époque de l’achat ?
Naturellement le diable se cache bien souvent dans les détails. Par une phrase sybilline enfouie dans le texte, nos deux octogénaires informaient leurs lecteurs que, ”bien sûr, en quarante ans, le prêt avait beaucoup augmenté”.
Que les intérêts augmentent en fonction du coût de l’argent, rien de plus normal. Mais comment un prêt peut-il augmenter avec le temps ?
Tout simplement parce que le prêt hypothécaire initial, garanti par la valeur de la maison qui avait évolué de façon significative durant les quarante années, avait permis l’octroi de crédits à la consommation. Ces nouveaux prêts, qui permettaient à notre couple de renouveler régulièrement son parc automobile et de financer ses voyages, étaient d’autant plus facilement accordés par leur banque qu’ils bénéficiaient de l’hypothèque initiale.
Ce n’était donc ni l’impôt sur les plus-values, ni le coût d’achat des appartements et encore moins le remboursement de leur prêt initial qui empêchaient nos octogénaires d’acquérir l’appartement de leurs rêves. C’était tout simplement le fait que, anticipant sur la vente future de leur bien immobilier, ils avaient consommé par avance la plus grande partie de la plus-value à venir.
Rien de tout ceci n’aurait pu se produire en France : l’obligation d’amortir son prêt immobilier et l’impossibilité d’utiliser celui-ci à autre chose que de l’immobilier, auraient forcé nos octogénaires à se serrer la ceinture et différer leurs achats.